Cette semaine a été à nouveau décevante pour les Ukrainiens sur le front des opérations et de plus maussade sur le front politique après la réunion de Ramstein. (lien vers billet entier en fin).
Sur les quatre segments du front, les Ukrainiens n’avancent pas au nord et cèdent du terrain partout ailleurs. Ainsi, dans le nord Donbass, ils tiennent face à Kreminna sans pouvoir avancer. Un peu plus au nord, ils ont peut-être gagné quelques décamètres à Kuzemivka.
Segment Donbass central (Bakhmout) : les Russes ont terminé la prise de Soledar, y compris le faubourg de Sil. Ils poussent au nord vers Krasnopila qu’ils auraient investi en partie. Au sud de la ville, ils poussent vers Blahodatne et Krasna Hora. Les Ukrainiens se sont rétablis sur l’autre versant de la rivière Bakhmoutva. Les Russes, à Pidhorodne, descendent vers le thalweg pour couper la pénétrante nord de Bakhmout et interdire cette voie d’approvisionnement ukrainienne.
Bakhmout proprement dite est pressée du nord, de l’est et du sud. Peu à peu, les Ukrainiens cèdent du terrain. Désormais, c’est l’ensemble urbain sur la rive droite de la rivière qui est attaqué. Au sud de la ville, la localité de Klischivka a été cédée aux Russes qui ont pris pied sur le terrain la dominant à son ouest. Ils auraient franchi le canal au sud (vers Bila Hora) et leurs premières reconnaissances offensives arriveraient ce soir en vue d’Ivanivske.
Segment Donbass sud (Donetsk). Les Ukrainiens auraient peut-être réussi à dégager les approches de Niu-Yiork, face à Horlivka. Mais juste au sud, les Russes pousseraient vers Oleksandropil et, un peu plus au sud, vers Krasnohorivka (donc au-delà de la route H-20). Face à Donetsk, ils auraient repris leur poussée au nord de l’aéroport (Opytne et Vodiane) et au sud du secteur, auraient progressé dans la ville de Marinka, avec peut-être une reco offensive au sud de celle-ci (menaçant le nord de Vuhledar).
Segment sud : Il était très calme depuis des semaines et s’est réveillé. D’ouest en est : Prise de Melnytsa, bourgade juste au sud de Kamianske, le long du Dniepr. Ce jour, les Russes presseraient Kamianske. Un peu plus loin, prise de Lobkove et peut-être de Stepove. Ils seraient ensuite vers Mali Scherbaky (revendiqué par les Russes, non confirmé), combattraient aux abords de Novoandrivka et Novodanylivka, autour du nœud routier de Orikhiv, point clef à l’ouest du front de Zaporijia. Encore plus à l’est, les Russes auraient pris Zahirne et peut-être Myrne, pousseraient à Dorojnianka et peut-être à l’est d’Houliapole, autre nœud routier au centre du front. Situation inchangée entre cette zone, Velika Novosilka puis Vouhledar.
Appréciation militaire : soit les Ukrainiens ont des nerfs d’acier et préparent quelque chose (V. Zelensky annonce une offensive pour mars), soit la situation opérationnelle est médiocre pour ne pas dire mauvaise.
A Bakhmout, les deux voies d’approvisionnement sont désormais quasiment sous le feu direct des Russes. Sauf à Krasna Hora, les Ukrainiens reculent partout : lentement, mais ils reculent. La ville risque d’être bientôt encerclée, rendant la tâche des défenseurs difficile. Simultanément, les Russes remontent plein nord le long de la Bakhmoutva, se dirigeant clairement vers Siversk et tournant l’arrière de Vesele ou Spirne. Au sud, les Russes tournent non seulement Bakhmout mais se dirigent vers l’ouest et le sud, à la fois Chasiv Yar qui constitue le point arrière de Bakhmout mais aussi Bila Hora puis Dylivka, qui commandent l’accès nord de Toretsk. Ce point d’appui ukrainien, installé depuis 2015, risque donc d’être menacé.
Enfin, la persistance d’actions à Donetsk et la relance du front de Zaporijia forcent les Ukrainiens à engager des troupes pour contrer ces pressions simultanées. Ils semblent que leurs réserves accumulées sont obligées d’être amenées au front pour tenir les lignes actuelles. Si c’était le cas, cela affecterait les perspectives de contre-offensive. Ainsi, quels que soient les chiffres de pertes qui circulent pour un camp ou l’autre, il semble que les Russes y consentent plus facilement et obtiennent des gains sur le terrain.
Pour autant, malgré les rumeurs qui ont agité les milieux pro-russes toute la semaine, personne ne sait encore s’il s’agit de la grande offensive russe que certains annoncent. Il est ainsi tout à fait possible que la stratégie d’usure soit poursuivie à une plus large échelle, sans forcément vouloir lancer des grandes manœuvres de percée. Pour autant, les Russes peuvent très bien vouloir pousser partout et avancer là où les Ukrainiens céderont. Ceux-ci sont donc obligés de pousser des forces pour tenir partout, au risque de la surextension.
Mais il faut retenir que les Russes ont poursuivi leur effort cette semaine.
A court terme, il semble probable que Bakhmout tombe. De même, la pression contre Siversk devrait se dessiner dans les semaines à venir. Les choses sont beaucoup plus incertaines du côté de Donetsk ou sur le front de Zaporijia. Il faudra vérifier si les rumeurs de renforcement ukrainien dans le nord Donbass (Svatove) sont le signe d’une offensive dans le secteur, de façon à forcer les Russes à le renforcer et donc alléger leur dispositif ailleurs.
Appréciation politique : l’humeur a donc été maussade cette semaine avec beaucoup moins de déclarations annonçant la victoire de l’Ukraine ou la défaite inéluctable des Russes. Au contraire, on a commencé à entendre quelques voix formulant l’hypothèse de succès russes.
Mais la grande affaire de la semaine a été la réunion à Ramstein de la conférence des donateurs. Elle s’annonçait bien et il faut tout de même constater la très longue liste de matériels qui ont été donnés à l’Ukraine : canons, moyens de défense sol-air, véhicules de combat d’infanterie (VCI), chars légers (AMX 10 RC) ou lourds (Challenger). Ce n’est pas rien et cela constitue le plus gros effort simultané des soutiens de l’Ukraine en faveur de Kiev. Cela devrait donc être considéré comme un succès.
Or, il est terni puisque l’Allemagne a refusé de donner ses chars Léopard 2 et plus encore, d’autoriser les pays en possédant (Pologne, Ukraine voire Espagne) à donner les leurs à l’Ukraine. Une condition aurait été mise par Berlin : si les États-Unis donnent des Abrams, alors l’Allemagne donnera des Leo2. Les États-Unis s’y sont refusés mais les pressions venues de tout bord n’ont pas fait céder le chancelier Scholz, soumis à une coalition politique hétéroclite et fragile et au refus de la frange pacifiste de son parti, le SPD. Du coup, cela a affaibli le message de soutien destiné à l’Ukraine (qui demandait 300 chars !) et renforcé le scepticisme ambiant.
Les conséquences de cette décision allemande sont nombreuses : elle donne un coup de canif à l’unanimité occidentale et renforce la situation politique du Kremlin, au moment précis où celui-ci connaît de premiers succès depuis longtemps. Beaucoup interprètent ça comme la volonté de ménager la Russie pour des raisons économiques. Certains vont encore plus loin et suggèrent que le renseignement allemand dépeint une situation militaire très mauvaise (il y a eu des fuites dans la presse) qui rend la position ukrainienne pire qu’il y paraît officiellement. Il reste qu’au niveau européen, la mauvaise humeur contre l’Allemagne est générale et que la cohésion européenne et transatlantique s’en ressentira. Enfin, en bloquant l’envoi de Leopard 2 par d’autres nations, l’Allemagne fragilise son industrie d’armement (rappelons qu’elle était le 4ème exportateur mondial d’armement).
Ainsi, ce qui devait manifester la cohésion et la solidarité occidentale à l’Ukraine s’achève malencontreusement pour Kiev.
A la semaine prochaine.
OK